Internationale situationniste
Revue de la section française de líI.S.
Numéro 1

Juin 1958 ó Directeur : G.-E. Debord
Rédaction : 32, rue de la Montagne-Geneviève, Paris-V
e

 

Table


Notes éditoriales :

 Amère victoire du surréalisme

 Le bruit et la fureur

 La liberté pour quoi lire ? Des bêtises

 La lutte pour le contrôle des nouvelles techniques de conditionnement

 Avec et contre le cinéma

 Contribution à une définition situationniste du jeu

 Problèmes préliminaires à la construction díune situation

 Définitions

 GILLES IVAIN, Formulaire pour un urbanisme nouveau

 GUY-ERNEST DEBORD, Thèses sur la révolution culturelle

 ASGER JORN, Les situationnistes et líautomation

 MICHÈLE BERNSTEIN, Pas díindulgences inutiles

Nouvelles de líInternationale :

 Éditions pour líagitation situationniste

 Deuxième Conférence de líI.S.

 Venise a vaincu Ralph Rumney

 Action en Belgique contre líAssemblée des critiques díart internationaux

 Une guerre civile en France

ù

La règle dans ce bulletin est la rédaction collective. Les quelques articles rédigés et signés personnellement doivent être considérés, eux aussi, comme intéressant líensemble de nos camarades, et comme des points particuliers de leur recherche commune. Nous sommes opposés à la survivance de formes telles que la revue littéraire ou la revue díart.

Tous les textes publiés dans Internationale Situationniste peuvent être librement reproduits, traduits ou adaptés, même sans indication díorigine.

*

Comité de rédaction : MOHAMED DAHOU, GIUSEPPE PINOT GALLIZIO, MAURICE WYCKAERT.

« Nos prochaines publications seront décidées par la majorité de nos camarades : nous prévoyons une revue éditée à Paris vers le début de 1958. » ó GUY DEBORD, lettre à Pinot Gallizio, 23 novembre 1957.

« Aurais-tu quelque chose à publier dans la revue que nous préparons ? » ó GUY DEBORD, lettre à Constant, 27 décembre 1957.

« Je míemploie à préparer le premier numéro de la revue dont nous avons parlé ensemble. Voulez-vous y donner des textes ? et quels sujets traiteriez-vous ?
Il faudrait cela dans un délai assez bref. » ó G
UY DEBORD, lettre à la section belge, décembre 1957 - janvier 1958.

« Maintenant notre affaire la plus urgente est líorganisation de la manifestation chez Drouin. Pour cela il se pose un problème général de rédaction, pour le premier numéro de la revue qui doit paraître à ce moment-là et pour les conférences que nous devrons enregistrer auparavant. Je crois quíil serait bon de nous rencontrer bientôt pour discuter de ce travail précis. Veux-tu revenir à Paris un des prochains week-ends, avec Wyckaert si possible ? Je peux loger un de vous dans ma mansarde internationale aussi longtemps quíil voudra. » ó GUY DEBORD, lettre à Walter Korun, 5 février 1958.

« Je tíécris toujours en grande hâte, devant remettre un immense travail à notre imprimeur avant le 15 mars. » ó GUY DEBORD, lettre à Pinot Gallizio, 21 février 1958.

« Comme suite à ce que je tíécrivais le 5 février, il nous faut maintenant hâter la rédaction de la revue, dont tous les textes doivent être remis à líimprimeur le 15 mars.
Peut-on se rencontrer avant ó au moins 8 jours avant ó à Paris, ou si tu préfères à Bruxelles ? Choisis la date. » ó G
UY DEBORD, lettre à Walter Korun, 21 février 1958.

« Maintenant je cours chez líimprimeur. » ó GUY DEBORD, lettre à Pinot Gallizio, 27 février 1958.

« . » ó GUY DEBORD, lettre à Maurice Wyckaert, 1er mars 1958.

« Pour la revue, nous pensions déjà vous accorder un petit délai supplémentaire. Il suffira que vos travaux nous parviennent avant le 31 mars. Cíest encore très pressé, je le sais bien. Mais nous y comptons absolument. » ó GUY DEBORD, lettre à la section belge, 13 mars 1958.

« Comme tu lías vu par ma carte je me trouvais à la fin de la semaine dernière à Bruxelles, pour discuter avec nos camarades belges de la rédaction de notre revue, et de líaction à mener en Belgique. Líambiance là-bas est très satisfaisante.
[Ö]
Pour la revue, je compte y publier des extraits de ta lettre historique du 24 février annonçant la naissance de la peinture industrielle. Voudrais-tu la compléter par quelques notes supplémentaires : écrites toujours sur la peinture industrielle (explication des procédés, développements prochains, etc., un peu ce que nous avons dit avec Drouin) ? Il faudrait que jíaie reçu ce texte
avant la fin de mars. » ó GUY DEBORD, lettre à Pinot Gallizio, 14 mars 1958.

« En ce moment, je míemploie díabord à la revue. » ó GUY DEBORD, lettre à Pinot Gallizio, 21 mars 1958.

« Je te prie de presser Korun díachever ses écrits pour la fin de cette semaine. » ó GUY DEBORD, lettre à Maurice Wyckaert, 24 mars 1958.

« Pour la revue, il y a encore du retard. Prenez maintenant le 25 avril comme date limite pour faire parvenir vos écrits ó dans líimpasse de Clairvaux. Mais nous y comptons absolument. De plus, il faudrait míenvoyer les références exactes concernant les publications díarticles (« Histoire de Taptoe ») dont vous míavez parlé, en Hollande et en Belgique, si elles ont été faites díici le mois de mai, ou si elles doivent líêtre sûrement très peu après (ceci pour publier dans le compte rendu de nos activités éditoriales).
[Ö]
Enfin, écrivez vite ici tous les résultats, et envoyez le plus possible de coupures de presse relatant vos exploits : jíen ai besoin pour les commentaires de líexpédition qui seront en bonne place dans
Internationale Situationniste. » ó GUY DEBORD, lettre à Walter Korun, 8 avril 1958.

« La revue est en retard, mais devrait paraître vers le 15 mai. » ó GUY DEBORD, lettre à Pinot Gallizio, 9 avril 1958.

« À líoccasion de líexposition de Torino, Pistoi publie immédiatement LíÉloge de Gallizio et, en brochure séparée, la traduction italienne de mon Rapport. Ensuite, dans le numéro de juin de Notizie, il traduira une partie des textes du premier numéro díInternationale Situationniste et en outre il diffusera en Italie 200 exemplaires de notre revue.
Tu vois donc líurgence de la parution à Paris de la revue, et de la monographie de Pinot. » ó G
UY DEBORD, lettre à Asger Jorn, 27 avril 1958.

« Jíenverrai díici trois ou quatre jours à Pistoi celles des épreuves de notre revue qui doivent être traduites dans Notizie. Comme la revue elle-même ne peut être achevée díimprimer avant le début de juin, il est possible que les circonstances politiques empêchent sa parution. Dans ce cas, la publication en italien est díautant plus nécessaire, et je compte sur toi pour rappeler ceci à Pistoi. » ó GUY DEBORD, lettre à Pinot Gallizio, 18 mai 1958.

« Je vous ai envoyé aujourdíhui les épreuves à traduire pour Notizie.
Une lettre qui est souvent mal imprimée dans ces pages est la lettre T.
Vous pouvez considérer que les
ìNotes éditorialesî sont signées par le comité de rédaction, qui est composé de : Mohamed Dahou, Debord, Pinot Gallizio et Maurice Wyckaert.
Notre revue sera diffusée le 10 juin, à moins que les événements politiques ne nous aient pris de vitesse. » ó G
UY DEBORD, lettre à Luciano Pistoi, 23 mai 1958.

« Jíai [envoyé] ce matin à Pistoi les textes de la revue, qui ne sera pas distribuée à Paris avant le 10 juin. » ó GUY DEBORD, lettre à Giors Melanotte, 23 mai 1958.

« Et que se passe-t-il pour notre numéro de Notizie ? Il serait fâcheux de ne pouvoir exploiter tout de suite le succès de la peinture industrielle en líexpliquant (puisque la presse donnera naturellement une vision très déformée de nos positions).
Dans ces conditions, dois-je toujours envoyer à Pistoi 200 exemplaires de notre revue, comme cíétait aussi convenu ?
[Ö]
Tu as líhonneur supplémentaire díêtre membre du comité de rédaction de la revue
Internationale Situationniste qui est enfin prête. » ó GUY DEBORD, lettre à Pinot Gallizio, 16 juin 1958.

« Ci-joint notre analyse à la date du 8 juin ó confirmée depuis (mais les plus grandes chances sont du côté fasciste). Ceci va paraître dans la revue, que vous recevrez bientôt : la diffusion commencera demain. » ó GUY DEBORD, lettre à Gallizio & Melanotte, 16 juin 1958.

« Je vais tíenvoyer incessamment la revue. Tu y détiens un poste honorifique dans le comité de rédaction, afin que ton nom ne soit pas absent de cette publication. » ó GUY DEBORD, lettre à Maurice Wyckaert, 16 juin 1958.

« . » ó GUY DEBORD, lettre à Walter Korun, 16 juin 1958.

« Quand paraît Notizie, et y a-t-on traduit tous nos textes (de I.S. n° 1) ? Ceci me paraît très important. Si Pistoi est encore tiraillé entre des forces contraires, il faut saisir cette occasion de le compromettre dans notre camp. Tout le monde y gagnera, mais surtout lui.
[Ö]
Je tíenvoie bientôt díautres exemplaires de la revue (le tirage níest pas terminé). » ó G
UY DEBORD, lettre à Pinot Gallizio, 23 juin 1958.

« Vous recevrez dans peu de jours les épreuves du livre de Jorn, et 200 revues (le tirage síachève seulement). » ó GUY DEBORD, lettre à Luciano Pistoi, 30 juin 1958.

« Je suis content que la revue te plaise. Elle a déjà soulevé pas mal díintérêt par ici. » ó GUY DEBORD, lettre à Pinot Gallizio, 5 juillet 1958.

« [Ö] le scandaleux sabotage de líimpression de la revue. » ó GUY DEBORD, lettre à Asger Jorn, 15 juillet 1958.

« Je suis content que la revue te plaise. Elle a déjà soulevé pas mal díintérêt par ici. » ó GUY DEBORD, lettre à Pinot Gallizio, 5 juillet 1958.

« Hier, la police mía longuement interrogé à propos de la revue et de líorganisation situationniste. Cíétait seulement un début. Voici, je crois, une des principales menaces qui míest apparue assez vite dans la discussion : la police veut considérer líI.S. comme une association pour en venir à la dissoudre en France. Jíai protesté díores et déjà en soulignant que jamais une tendance artistique ne síétait juridiquement constituée en personne morale dans une association déclarée. Níétant pas déclarée, líI.S. ne peut être officiellement dissoute, mais on essaie lourdement de nous intimider. On a líair de nous prendre pour des gangsters ! » ó GUY DEBORD, lettre à Pinot Gallizio, 17 juillet 1958.

« Vigilance à propos du numéro de Notizie à paraître, qui doit contenir nos traductions. Ne pas laisser Pistoi imaginer que nous pourrions nous accommoder díune rupture de cet engagement précis. » ó GUY DEBORD, lettre à Pinot Gallizio, 19 juillet 1958.

« . » ó GUY DEBORD, lettre à Asger Jorn, 20 août 1958.

ù

 

Notes éditoriales

 

Amère victoire du surréalisme

« Le succès même du surréalisme est pour beaucoup dans le fait que líidéologie de cette société, dans sa face la plus moderne, a renoncé à une stricte hiérarchie de valeurs factices, mais se sert à son tour ouvertement de líirrationnel, et des survivances surréalistes par la même occasion. »

Rapport sur la construction des situations. Juin 1957

DANS LE CADRE díun monde qui nía pas été essentiellement transformé, le surréalisme a réussi. Cette réussite se retourne contre le surréalisme qui níattendait rien que du renversement de líordre social dominant. Mais en même temps le retard intervenu dans líaction des masses qui síemploient à ce renversement, maintenant et aggravant, avec les autres contradictions du capitalisme évolué, les mêmes impuissances de la création culturelle, maintient líactualité du surréalisme et en favorise de multiples répétitions dégradées.

Le surréalisme a un caractère indépassable, dans les conditions de vie quíil a rencontrées et qui se sont prolongées scandaleusement jusquíà nous, parce quíil est déjà, dans son ensemble, un supplément à la poésie ou à líart liquidés par le dadaïsme, parce que toutes ses ouvertures sont au-delà de la postface surréaliste à líhistoire de líart, sur les problèmes díune vraie vie à construire. De sorte que tout ce qui veut se situer, techniquement, après le surréalisme retrouve des problèmes díavant (poésie ou théâtre dadaïstes, recherches formelles dans le style du recueil Mont-de-Piété). Ainsi, pour leur plus grande part, les nouveautés picturales sur lesquelles on a attiré líattention depuis la dernière guerre sont seulement des détails, isolés et grossis, pris ó secrètement ó dans la masse cohérente des apports surréalistes (Max Ernst à líoccasion díune exposition à Paris au début de 1958 rappelait ce quíil avait appris à Pollock en 1942).

Le monde moderne a rattrapé líavance formelle que le surréalisme avait sur lui. Les manifestations de la nouveauté dans les disciplines qui progressent effective ment (toutes les techniques scientifiques) prennent une apparence surréaliste : on a fait écrire, en 1955, par un robot de líUniversité de Manchester, une lettre díamour qui pouvait passer pour un essai díécriture automatique díun surréaliste peu doué. Mais la réalité qui commande cette évolution est que, la révolution níétant pas faite, tout ce qui a constitué pour le surréalisme une marge de liberté síest trouvé recouvert et utilisé par le monde répressif que les surréalistes avaient combattu.

Líemploi du magnétophone pour instruire des sujets endormis entreprend de réduire la réserve onirique de la vie à des fins utilitaires dérisoires ou répugnantes. Rien cependant ne constitue un si net retournement des découvertes subversives du surréalisme que líexploitation qui est faite de líécriture automatique, et des jeux collectifs fondés sur elle, dans la méthode de prospection des idées nommée aux Etats-Unis « brainstorming ». Gérard Lauzun, dans France-Observateur, en décrit ainsi le fonctionnement : « En une séance de durée limitée (dix minutes à 1 heure), un nombre limité de personnes (6 à 15) ont toute liberté díémettre des idées, le plus díidées possibles, bizarres ou pas, sans aucun risque de censure. La qualité des idées importe peu. Il est absolument interdit de critiquer une idée émise par líun des participants et même de sourire lorsquíil a la parole. Chacun a, en outre, le droit le plus absolu, le devoir même, de piller, en y ajoutant du sien, les idées précédemment énoncées. (Ö). Líarmée, líadministration, la police y ont aussi recours. La recherche scientifique elle-même substitue des séances de brainstorming à ses conférences ou à ses ìtables rondesî. (Ö) Un auteur et un producteur de films au C.F.P.I. Il leur faut un titre. Huit personnes en quinze minutes en proposent soixante-dix ! Puis, un slogan : cent quatre idées en trente-quatre minutes : deux sont retenus. (Ö) La règle est la non-pensée, líillogisme, líabsurdité, le coq-à-líâne. La qualité fait place à la quantité. La méthode a pour but premier díéliminer les diverses barrières de contrainte sociale, de timidité, díeffroi devant la parole qui interdisent souvent à certains individus dans une réunion ou au cours díun conseil díadministration, de parler, díavancer des suggestions saugrenues, au milieu desquelles pourtant un trésor peut être enfoui ! Ici, les barrières levées, on constate que les gens parlent et, surtout, que chacun a quelque chose à dire. (Ö) Certains managers américains ont díailleurs vite compris líintérêt díune telle technique sur le plan des relations avec le personnel. Celui qui peut síexprimer revendique moins. ìOrganisez-nous des brainstormings !î commandent-ils alors aux spécialistes : ìcela démontrera au personnel que nous faisons cas de ses idées, puisque nous les demandons !î La technique est devenue une thérapeutique contre le virus révolutionnaire. »

« Je ne crois pas que nous voulions surestimer líimportance du surréalisme par rapport aux autres recherches que tu cites. Il me semble même que líesthétique que le surréalisme a finalement imposée est moins avancée. La place privilégiée de ce mouvement ó cíest-à-dire pour le premier numéro de la revue líétendue de la critique qui lui est consacrée ó vient de ce fait que le surréalisme síest présenté comme une entreprise totale, concernant toute une façon de vivre. Cíest cette intention qui constitue son caractère le plus progressif, qui nous oblige maintenant à nous comparer à lui, pour nous en différencier (le passage díun art révolutionnaire utopique à un art révolutionnaire expérimental). Bien sûr nous sommes encore loin de ce passage. Tout ce qui nous intéresse vraiment ne peut être encore quíau stade de la revendication. Ainsi le manque de réalisme est un défaut presque inévitable mais quíil faut combattre le plus possible parmi nous. » ó GUY DEBORD, lettre à Constant, 8 août 1958.

*

Le bruit et la fureur

ON PARLE BEAUCOUP des jeunes gens furieux, de la colère de la jeunesse aujourdíhui. On en parle volontiers parce que, des émeutes sans raison des adolescents suédois aux proclamations élaborées par les « angry young men » anglais qui tentent de se constituer en mouvement littéraire, on retrouve le même caractère inoffensif en profondeur, une même faiblesse rassurante. Produits díune époque de décomposition des idées et des modes díexistence dominants, díune époque díimmenses victoires contre la nature sans élargissement réel des possibilités de la vie quotidienne, réagissant, parfois brutalement, contre la condition qui leur est faite, ces sursauts de la jeunesse sont grossièrement contemporains de líétat díesprit surréaliste. Mais ils sont dépourvus de ses points díapplication dans la culture et de son espoir révolutionnaire. De sorte que la résignation est le fond sonore de ce négativisme spontané de la jeunesse américaine, scandinave ou japonaise. Saint-Gennain-des-Prés avait déjà été, dans les premières années de líaprès-guerre, un laboratoire de ces comportements (abusivement nommés existentialistes par les journaux), ce qui explique que les représentants intellectuels de cette génération en France maintenant (Françoise Sagan-Drouet, Robbe-Grillet, Vadim, líaffreux Buffet) soient tous les illustrations outrées, les images díÉpinal de la résignation.

Si cette génération intellectuelle, hors de France, témoigne de plus díagressivité, la conscience quíelle en prend síéchelonne entre líimbécillité simple et la satisfaction prématurée díune révolte très insuffisante. Líodeur díúufs pourris que répand líidée de Dieu enveloppe les crétins mystiques de la « beat generation » américaine, et níest même pas absente des déclarations des « angry young men » (cf. Colin Wilson). Ceux-ci, en général, découvrent avec trente ans de retard un climat moral subversif que líAngleterre leur avail complètement caché entre temps, et pensent être à la pointe du scandale en se proclamant républicains. « On continue de jouer des pièces, écrit Kenneth Tynan, qui sont fondées sur la ridicule idée que les gens craignent et respectent encore la Couronne, líEmpire, líÉglise, líUniversité et la Bonne Société. » Ce mot (« on continue de jouer des piècesÖ ») est révélateur du point de vue platement littéraire de cette équipe des « angry young men », qui en sont venus à changer díavis, simplement, sur quelques conventions sociales, sans voir le changement de terrain de toute líactivité culturelle, que líon observe manifestement dans chaque tendance avant-gardiste du siècle. Les « angry young men » sort même particulièrement réactionnaires en ceci quíils attribuent une valeur privilégiée, un sens de rachat, à líexercice de la littérature ; cíest-à-dire quíils se font aujourdíhui les défenseurs díune mystification qui a été dénoncée vers 1920 en Europe, et dont la survie est díune plus grande portée contre-révolutionnaire que celle de la Couronne britannique.

Toutes ces rumeurs, ces onomatopées de líexpression révolutionnaire, ont en commun díignorer le sens et líampleur du surréalisme (dont la réussite artistique bourgeoise a été naturellement déformante). En fait la continuation du surréalisme serait líattitude la plus conséquente, si rien de nouveau ne parvenait à le remplacer. Mais précisément, la jeunesse qui le rallie, parce quíelle connaît líexigence profonde du surréalisme et ne peut surmonter la contradiction entre cette exigence et cette immobilité díune pseudo-réussite, se réfugie dans les côtés réactionnaires que le surréalisme portait en lui dès sa formation (magie, croyance à un âge díor qui pourrait être ailleurs quíen avant dans líhistoire). On en vient à se féliciter díêtre encore là, si longtemps après la bataille, sous líarc de triomphe du surréalisme où líon restera traditionnellement, comme dit fièrement Gérard Legrand (Surréalisme même, n° 2) : « un petit noyau díêtres jeunes obstinément attachés à entretenir la véritable flamme du surréalismeÖ »

Un mouvement plus libérateur que le surréalisme de 1924 ó auquel Breton promettait de se rallier síil venait à paraître ó ne peut pas se constituer facilement, parce que son caractère libérateur dépend maintenant de sa mainmise sur les moyens matériels supérieurs du monde moderne. Mais les surréalistes de 1958 sont devenus incapables de síy rallier, et sont même résolus à le combattre. Ce qui níenlève rien à la nécessité, pour un mouvement révolutionnaire dans la culture, de reprendre à son compte, avec plus díefficacité, la liberté díesprit, la liberté concrète des múurs, revendiquées par le surréalisme.

Pour nous, le surréalisme a été seulement un début díexpérience révolutionnaire dans la culture, expérience qui a presque immédiatement tourné court pratiquement et théoriquement. Il síagit díaller plus loin. Pourquoi ne peut-on plus être surréaliste ? Ce níest pas pour obéir à la sommation, qui est faite en permanence à lí« avant-garde », de se distinguer du scandale surréaliste (personne ne se soucie de nous voir adopter une originalité de tous les instants. Et pour cause : quelle direction neuve nous proposerait-on ? Au contraire, la bourgeoisie est prête à applaudir toutes les régressions quíil nous plaira de choisir). Si líon níest pas surréaliste, cíest pour ne pas síennuyer.

Líennui est la réalité commune du surréalisme vieilli, des jeunes gens furieux et peu renseignés, et de cette rébellion des adolescents confortables qui est sans perspectives mais bien éloignée díêtre sans cause. Les situationnistes exécuteront le jugement que !es loisirs díaujourdíhui prononcent contre eux-mêmes.

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La liberté pour quoi lire ? Des bêtises

ÉVASION dans la littérature et líart, la surestimation de líimportance de ces activités définies selon líancienne optique bourgeoise, paraissent des conceptions très répandues dans les États ouvriers díEurope où, en réaction contre les détournements policiers díune entreprise de changement réel du monde, les intellectuels déçus en viennent à manifester une naïve indulgence pour les sous-produits, les redites díune culture occidentale décomposée. Cíest une illusion parallèle à celle quíils redécouvrent au sujet du système de la démocratie parlementaire. Le jeune écrivain polonais Marek Hlasko, interrogé par LíExpress (du 17 avril 1958), justifie son intention de retourner en Pologne où, díaprès les opinions assurées quíil a émises, la vie est intenable et aucune amélioration níest possible, par ce stupéfiant motif : « La Pologne est un pays extraordinaire pour un écrivain, et cela vaut la peine de supporter toutes les conséquences pour vivre dans ce pays et líobserver. »

Nous ne regretterons pas le recul du jdanovisme malgré líintérêt stupide que rencontrent en Tchécoslovaquie ou en Pologne les plus misérables aspects de la fin de culture de líoccident : les expressions qui ne soit plus à líextrême de la décomposition formelle, mais parvenues à la neutralité pure ó disons Sagan-Drouet ou les motivations artistiques de la revue Phases. Nous comprenons la nécessité de revendiquer, contre la doctrine réaliste-socialiste encore puissante, une liberté totale díinformation et de création. Mais cette liberté ne peut en aucun cas se confondre avec líalignement sur la culture « moderne » découverte maintenant en Europe occidentale. Cette culture est historiquement le contraire díune création : une série de répétitions maquillées. Demander la liberté de la création, cíest reconnaître la nécessité des constructions supérieures du milieu. Dans les États ouvriers et ici, la liberté véritable sera la même, et ses ennemis seront les mêmes.

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La lutte pour le contrôle des nouvelles techniques de conditionnement

« ON PEUT dorénavant déclencher à coup sûr les réactions des hommes dans des directions déterminées à líavance », écrivait Serge Tchakhotine à propos des méthodes díinfluence employées sur des collectivités par les révolutionnaires et par les fascistes entre les deux guerres mondiales (Le viol des foules par la propagande politique, Gallimard). Les progrès scientifiques depuis ont été constants. On a avancé dans líétude expérimentale des mécanismes du comportement ; on a trouvé de nouveaux usages des appareils existants ; on en a inventé de nouveaux. On fait líessai, depuis assez longtemps, díune publicité invisible (par líintroduction dans un déroulement cinématographique díimages autonomes, au vingt-quatrième de seconde, sensibles à la rétine mais restant en deçà dune perception consciente) et díune publicité inaudible (par infra-sons). En 1957 le service de recherche de la Défense nationale du Canada a fait effectuer une étude expérimentale de líennui en isolant des sujets dans un environnement aménagé de telle sorte que rien ne pouvait síy passer (cellule aux murs nus, éclairée sans interruption, meublée seulement díun divan confortable, rigoureusement dépourvue díodeurs, de bruits, de variations de température). Les chercheurs ont constaté des troubles étendus du comportement, le cerveau étant incapable en líabsence des stimuli sensoriels de se maintenir dans une excitation moyenne nécessaire à son fonctionnement normal. Ils ont donc pu conclure à líinfluence néfaste díune ambiance ennuyeuse sur le comportement humain, et expliquer par là les accidents imprévisibles qui surviennent dans les travaux monotones, destinés à se multiplier avec líextension de líautomation.

On va plus loin avec le témoignage díun certain Lajos Ruff, publié dans la presse française, et en librairie, au début de 1958. Son récit, suspect à bien des égards, mais ne contenant aucune anticipation de détail, décrit le « lavage de cerveau » que lui aurait fait subir la police politique hongroise en 1956. Ruff dit avoir passé six semaines enfermé dans une chambre où líemploi unitaire de moyens qui sont tous amplement connus visait ó et a finalement réussi ó à lui faire perdre toute croyance en sa perception du monde extérieur et en sa propre personnalité. Ces moyens étaient : líameublement résolument autre de cette pièce close (meubles transparents, lit courbe) ; líéclairage, avec líintervention chaque nuit díun rayon lumineux venu de líextérieur, contre les effets psychiques duquel on líavait délibérément mis en garde, mais dont il ne pouvait síabriter ; les procédés de la psychanalyse utilisés par un médecin dans des conversations quotidiennes ; diverses drogues ; des mystifications élémentaires, réussies à la faveur de ces drogues (bien quíil ait tout lieu de croire quíil nía pu sortir depuis des semaines de sa chambre, il lui arrive de síéveiller avec des vêtements humides et des souliers boueux) ; des projections de films absurdes ou érotiques, confondues avec díautres scènes qui se produisent parfois dans la chambre ; enfin des visiteurs qui síadressent à lui comme síil était un héros de líaventure ó épisode de la Résistance en Hongrie ó quíun autre cycle de films lui fait voir (des détails se retrouvent dans ces films et dans les rencontres réelles, il finit par ressentir la fierté de prendre part à cette action).

Nous devons recoinaître là un usage répressif díune construction díambiance parvenue à un stade assez complexe. Toutes les découvertes de la recherche scientifique désintéressée ont été jusquíici négligées par les artistes libres, et utilisées immédiatement par les polices. La publicité invisible ayant soulevé quelque inquiétude aux États-Unis, on a rassuré tout le monde en annonçant que les deux premiers slogans diffusés seraient sans danger pour quiconque. Ils influenceront dans ces deux directions : « Conduisez moins vite » ó « ALLEZ À LíÉGLISE ».

Cíest toute la conception humaniste, artistique, juridique, de la personnalité inviolable, inaltérable, qui est condamnée. Nous la voyons síen aller sans déplaisir. Mais il faut comprendre que nous allons assister, participer, à une course de vitesse entre les artistes libres et la police pour expérimenter et développer líemploi des nouvelles techniques de conditionnement. Dans cette course la police a déjà un avantage considérable. De son issue dépend pourtant líapparition díenvironnements passionnants et libérateurs, ou le renforcement ó scientifiquement contrôlable, sans brèche ó de líenvironnement du vieux monde díoppression et díhorreur. Nous parlons díartistes libres, mais il níy a pas de liberté artistique possible avant de nous être emparés des moyens accumulés par le XXe siècle, qui sont pour nous les vrais moyens de la production artistique, et qui condamnent ceux qui en sont privés à níêtre pas des artistes de ce temps. Si le contrôle de ces nouveaux moyens níest pas totalement révolutionnaire, nous pouvons être entraînés vers líidéal policé díune société díabeilles. La domination de la nature peut être révolutionnaire ou devenir líarme absolue des forces du passé. Les situationnistes se placeront au service de la nécessité de líoubli. La seule force dont ils peuvent attendre quelque chose est ce prolétariat, théoriquement sans passé, obligé de tout réinventer en permanence, dont Marx disait quíil « est révolutionnaire ou níest rien ». Sera-t-il, de notre temps, ou non ? La question est díimportance pour notre propos : le prolétariat doit réaliser líart.

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Avec et contre le cinéma

LE CINÉMA est líart central de notre société, aussi en ce sens que son développement est cherché dans un mouvement continu díintégration de nouvelles techniques mécaniques. Il est donc, non seulement en tant quíexpression anecdotique ou formelle, mais aussi dans son infrastructure matérielle, la meilleure représentation díune époque díinventions anarchiques juxtaposées (non articulées, simplement additionnées). Après líécran large, les débuts de la stéréophonie, les tentatives díimages en relief, les États-Unis présentent à líexposition de Bruxelles un procédé dit « Circarama », au moyen duquel, comme le rapporte Le Monde du 17 avril, « on se trouve au centre du spectacle et on le vit, puisquíon en fait partie intégrante. Quand la voiture à bord de laquelle sont fixées les caméras de prises de vues fonce dans le quartier chinois de San-Francisco on éprouve les réflexes et les sensations des passagers de la voiture ». On expérimente, par ailleurs, un cinéma odorant, par les récentes applications des aérosols, et on en attend des effets réalistes sans réplique.

Le cinéma se présente ainsi comme un substitut passif de líactivité artistique unitaire qui est maintenant possible. Il apporte des pouvoirs inédits à la force réactionnaire usée du spectacle sans participation. On ne craint pas de dire que líon vit dans le monde que nous connaissons du fait que líon se trouve sans liberté au centre du misérable spectacle, « puisquíon en fait partie intégrante ». La vie níest pas cela, et les spectateurs ne sont pas encore au monde. Mais ceux qui veulent construire ce monde doivent à la fois combattre dans le cinéma la tendance à constituer líanti-construction de situation (la construction díambiance de líesclave, la succession des cathédrales) et reconnaître líintérêt des nouvelles applications techniques valables en elles-mêmes (stéréophonie, odeurs).

Le retard de líapparition des symptômes modernes de líart dans le cinéma (par exemple certaines úuvres formellement destructrices, contemporaines de ce qui est accepté depuis vingt ou trente ans dans les arts plastiques ou líécriture, sont encore rejetées même dans les ciné-clubs) découle non seulement de ses chaînes directement économiques ou fardées díidéalismes (censure morale), mais de líimportance positive de líart cinématographique dans la société moderne. Cette importance du cinéma est due aux moyens díinfluence supérieurs quíil met en úuvre ; et entraîne nécessairement son contrôle accru par la classe dominante. Il faut donc lutter pour síemparer díun secteur réellement expérimental dans le cinéma.

Nous pouvons envisager deux usages distincts du cinéma : díabord son emploi comme forme de propagande dans la période de transition pré-situationniste ; ensuite son emploi direct comme élément constitutif díune situation réalisée.

Le cinéma est ainsi comparable à líarchitecture par son importance actuelle dans la vie de tous, par les limitations qui lui ferment le renouvellement, par líimmense portée que ne peut manquer díavoir sa liberté de renouvellement. Il faut tirer parti des aspects progressifs du cinéma industriel, de même quíen trouvant une architecture organisée à partir de la fonction psychologique de líambiance on peut retirer la perle cachée dans le fumier du fonctionnalisme absolu.

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Contribution à une définition situationniste du jeu

ON NE PEUT échapper à la confusion du vocabulaire et à la confusion pratique qui enveloppent la notion de jeu quíen la considérant dans son mouvement. Les fonctions sociales primitives du jeu, après deux siècles de négation par une idéalisation continue de la production, ne se présentent plus que comme des survivances abâtardies, mêlées de formes inférieures qui procèdent directement des nécessités de líorganisation actuelle de cette production. En même temps, des tendances progressives du jeu apparaissent, en relation avec le développement même des forces productives.

La nouvelle phase díaffirmation du jeu semble devoir être caractérisée par la disparition de tout élément de compétition. La question de gagner ou de perdre, jusquíà présent presque inséparable de líactivité ludique, apparaît liée à toutes les autres manifestations de la tension entre individus pour líappropriation des biens. Le sentiment de líimportance du gain dans le jeu, quíil síagisse de satisfactions concrètes ou plus souvent illusoires, est le mauvais produit díune mauvaise société. Ce sentiment est naturellement exploité par toutes les forces conservatrices qui síen servent pour masquer la monotonie et líatrocité des conditions de vie quíelles imposent. Il suffit de penser à toutes les revendications détournées par le sport de compétition, qui síimpose sous sa forme moderne précisément en Grande-Bretagne avec líessor des manufactures. Non seulement les foules síidentifient à des joueurs professionnels ou à des clubs, qui assument le même rôle mythique que les vedettes de cinéma vivant et les hommes díÉtat décidant à leur place ; mais encore la série infinie des résultats de ces compétitions ne laisse pas de passionner les observateurs. La participation directe à un jeu, même pris parmi ceux qui requièrent un certain exercice intellectuel, est tout aussi peu intéressante dès lors quíil síagit díaccepter une compétition, pour elle-même, dans le cadre de règles fixes. Rien ne montre le mépris contemporain où est tenue líidée de jeu comme cette outrecuidante constatation qui ouvre le Bréviaire des Échecs de Tartakower : « Le jeu des Échecs est universellement reconnu comme le roi des jeux ».

Líélément de compétition devra disparaître au profit díune conception plus réellement collective du jeu : la création commune des ambiances ludiques choisies. La distinction centrale quíil faut dépasser, cíest celle que líon établit entre le jeu et la vie courante, le jeu étant tenu pour une exception isolée et provisoire. « Il réalise, écrit Johan Huizinga, dans líimperfection du monde et la confusion de la vie, une perfection temporaire et limitée ». La vie courante, conditionnée jusquíici par le problème des subsistances, peut être dominée rationnellement ó cette possibilité est au cúur de tous les conflits de notre temps ó et le jeu, rompant radicalement avec un temps et un espace ludiques bornés, doit envahir la vie entière. La perfection ne saurait être sa fin au moins dans la mesure où cette perfection signifie une construction statique opposée à la vie. Mais on peut se proposer de pousser à sa perfection la belle confusion de la vie. Le baroque, quíEugénio díOrs qualifiait, pour le limiter définitivement, de « vacance de líhistoire », le baroque et líau-delà organisé du baroque tiendront une grande place dans le règne prochain des loisirs.

Dans cette perspective historique, le jeu ó líexpérimentation permanente de nouveautés ludiques ó níapparaît aucunement en dehors de líéthique, de la question du sens de la vie. La seule réussite que líon puisse concevoir dans le jeu cíest la réussite immédiate de son ambiance, et líaugmentation constante de ses pouvoirs. Alors même que dans sa coexistence présente avec les résidus de la phase de déclin le jeu ne peut síaffranchir complètement díun aspect compétitif, son but doit être au moins de provoquer des conditions favorables pour vivre directement. Dans ce sens il est encore lutte et représentation : lutte pour une vie à la mesure du désir, représentation concrète díune telle vie.

Le jeu est ressenti comme fictif du fait de son existence marginale par rapport à líaccablante réalité du travail, mais le travail des situationnistes est précisément la préparation de possibilités ludiques à venir. On peut donc être tenté de négliger líInternationale situationniste dans la mesure où on y reconnaîtra aisément quelques aspects díun grand jeu. « Néanmoins, dit Huizinga, nous avons déjà observé que cette notion de ìseulement jouerî níexclut nullement la possibilité de réaliser ce ìseulement jouerî avec une gravité extrêmeÖ »

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Problèmes préliminaires à la construction díune situation

« La constrution de situations commence au-delà de líécroulement moderne de la notion de spectacle. Il est facile de voir à quel point est attaché à líaliénation du vieux monde le principe même du spectacle : la non-intervention. On voit, à líinverse, comme les plus valables des recherches révolutionnaires dans la culture ont cherché à briser líidentification psychologique du spectateur au héros, pour entraîner ce spectateur à líactivitéÖ La situation est ainsi faite pour être vécue par ses constructeurs. Le rôle du ìpublicî, sinon passif du moins seulement figurant, doit y diminuer toujours, tandis quíaugmentera la part de ceux qui ne peuvent être appelés des acteurs mais, dans un sens nouveau de ce terme, des ìviveursî. »

Rapport sur la construction des situations.

LA CONCEPTION que nous avons díune « situation construite » ne se borne pas à un emploi unitaire de moyens artistiques concourant à une ambiance, si grandes que puissent être líextension spatio-temporelle et la force de cette ambiance. La situation est en même temps une unité de comportement dans le temps. Elle est faite de gestes contenus dans le décor díun moment. Ces gestes sont le produit du décor et díeux-mêmes. Ils produisent díautres formes de décor et díautres gestes. Comment peut-on orienter ces forces ? On ne va pas se contenter díessais empiriques díenvironnements dont on attendrait des surprises, par provocation mécanique. La direction réellement expérimentale de líactivité situationniste est líétablissement, à partir de désirs plus ou moins nettement reconnus, díun champ díactivité temporaire favorable à ces désirs. Son établissement peut seul entraîner líéclaircissement des désirs primitifs, et líapparition confuse de nouveaux désirs dont la racine matérielle sera précisément la nouvelle réalité constituée par les constructions situationnistes.

Il faut donc envisager une sorte de psychanalyse à des fins situationnistes, chacun de ceux qui participent à cette aventure devant trouver des désirs précis díambiances pour les réaliser, à líencontre des buts poursuivis par les courants issus du freudisme. Chacun doit chercher ce quíil aime, ce qui líattire (et là encore, au contraire de certaines tentatives díécriture moderne ó Leiris par exemple ó, ce qui nous importe níest pas la structure individuelle de notre esprit, ni líexplication de sa formation, cíest son application possible dans les situations construites). On peut recenser par cette méthode des éléments constitutifs des situations à édifier ; des projets pour le mouvement de ces éléments.

Une telle recherche nía de sens que pour des individus travaillant pratiquement dans la direction díune construction de situations. Ils sont alors tous, soit spontanément soit díune manière consciente et organisée, des pré-situationnistes, cíest-à-dire des individus qui ont ressenti le besoin objectif de cette construction à travers un même état de manque de la culture, et à travers les mêmes expressions de la sensibilité expérimentale immédiatement précédente. Ils sont rapprochés par une spécialisation et par leur appartenance à une même avant-garde historique dans leur spécialisation. Il est donc probable que líon trouve chez tous un grand nombre de thèmes communs du désir situationniste, qui se diversifiera toujours davantage dès son passage à une phase díactivité réelle.

La situation construite est forcément collective par sa préparation et son déroulement. Cependant il semble, au moins pour la période des expériences primitives, quíun individu doive exercer une certaine prééminence pour une situation donnée ; en être le metteur en scène. À partir díun projet de situation ó étudié par une équipe de chercheurs ó qui combinerait, par exemple, une réunion émouvante de quelques personnes pour une soirée, il faudrait sans doute discerner entre un directeur ó ou metteur en scène : chargé de coordonner les éléments préalables de construction du décor, et aussi de prévoir certaines interventions dans les événements (ce dernier processus pouvant être partagé entre plusieurs responsables ignorant plus ou moins les plans díintervention díautrui) ó, des agents directs vivant la situation ó ayant participé à la création du projet collectif, ayant travaillé à la composition pratique de líambiance ó, et quelques spectateurs passifs ó étrangers au travail de construction ó quíil conviendra de réduire à líaction.

Naturellement le rapport entre le directeur et les « viveurs » de la situation ne peut devenir un rapport de spécialisations. Cíest seulement une subordination momentanée de toute une équipe de situationnistes au responsable díune expérience isolée. Ces perspectives, ou leur vocabulaire provisoire, ne doivent pas donner à croire quíil síagirait díune continuation du théâtre. Pirandello et Brecht ont fait voir la destruction du spectacle théâtral, et quelques revendications qui sont au-delà. On peut dire que la construction des situations remplacera le théâtre seulement dans le sens où la construction réelle de la vie a remplacé toujours plus la religion. Visiblement le principal domaine que nous allons remplacer et accomplir est la poésie, qui síest brûlée elle-même à líavant-garde de notre temps, qui a complètement disparu.

Líaccomplissement réel de líindividu, également dans líexpérience artistique que découvrent les situationnistes, passe forcément par la domination collective du monde : avant elle, il níy a pas encore díindividus, mais des ombres hantant les choses qui leur sont anarchiquement données par díautres. Nous rencontrons, dans des situations occasionnelles, des individus séparés qui vont au hasard. Leurs émotions divergentes se neutralisent et maintiennent leur solide environnement díennui. Nous ruinerons ces conditions en faisant apparaître en quelques points le signal incendiaire díun jeu supérieur.

À notre époque le fonctionnalisme, qui est une expression nécessaire de líavance technique, cherche à éliminer entièrement le jeu, et les partisans de lí« industrial design » se plaignent du pourrissement de leur action par la tendance de líhomme au jeu. Cette tendance, bassement exploitée par le commerce industriel, remet immédiatement en cause les plus utiles résultats, en exigeant de nouvelles présentations. Nous pensons bien quíil ne faut pas encourager le renouvellement artistique continu de la forme des frigidaires. Mais le fonctionnalisme moralisateur níy peut rien. La seule issue progressive est de libérer ailleurs, et plus largement, la tendance au jeu. Auparavant les indignations naïves de la théorie pure de líindustrial design níempêcheront pas le fait profond, par exemple, que líautomobile individuelle est principalement un jeu idiot, et accessoirement un moyen de transport. Contre toutes les formes régressives du jeu, qui sont ses retours à des stades infantiles ó toujours liés aux politiques de réaction ó il faut soutenir les formes expérimentales díun jeu révolutionnaire.

 

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Définitions

 

situation construite

Moment de la vie, concrètement et délibérément construit par líorganisation collective díune ambiance unitaire et díun jeu díévénements.

situationniste

Ce qui se rapporte à la théorie ou à líactivité pratique díune construction des situations. Celui qui síemploie à construire des situations. Membre de líInternationale situationniste.

situationnisme

Vocable privé de sens, abusivement forgé par dérivation du terme précédent. Il níy a pas de situationnisme, ce qui signifierait une doctrine díinterprétation des faits existants. La notion de situationnisme est évidemment conçue par les anti-situationnistes.

psychogéographie

Étude des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus.

psychogéographique

Relatif à la psychogéographie. Ce qui manifeste líaction directe du milieu géographique sur líaffectivité.

psychogéographe

Qui recherche et transmet les réalités psychogéographiques.

dérive

Mode de comportement expérimental lié aux conditions de la société urbaine : technique du passage hâtif à travers des ambiances variées. Se dit aussi, plus particulièrement, pour désigner la durée díun exercice continu de cette expérience.

urbanisme unitaire

Théorie de líemploi díensemble des arts et techniques concourant à la construction intégrale díun milieu en liaison dynamique avec des expériences de comportement.

détournement

Síemploie par abréviation de la formule : détournement díéléments esthétiques préfabriqués. Intégration de productions actuelles ou passées des arts dans une construction supérieure du milieu. Dans ce sens il ne peut y avoir de peinture ou de musique situationniste, mais un usage situationniste de ces moyens. Dans un sens plus primitif, le détournement à líintérieur des sphères culturelles anciennes est une méthode de propagande, qui témoigne de líusure et de la perte díimportance de ces sphères.

culture

Reflet et préfiguration, dans chaque moment historique, des possibilités díorganisation de la vie quotidienne ; complexe de líesthétique, des sentiments et des múurs, par lequel une collectivité réagit sur la vie qui lui est objectivement donnée par son économie. (Nous définissons seulement ce terme dans la perspective de la création des valeurs, et non dans celle de leur enseignement.)

décomposition

Processus par lequel les formes culturelles traditionnelles se sont détruites elles-mêmes, sous líeffet de líapparition de moyens supérieurs de domination de la nature, permettant et exigeant des constructions culturelles supérieures. On distingue entre une phase active de la décomposition, démolition effective des vieilles superstructures ó qui cesse vers 1930 ó, et une phase de répétition, qui domine depuis. Le retard dans le passage de la décomposition à des constructions nouvelles est lié au retard dans la liquidation révolutionnaire du capitalisme.

 

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Formulaire pour un urbanisme nouveau

 

Sire, je suis de líautre pays.

NOUS NOUS ENNUYONS dans la ville, il níy a plus de temple du soleil. Entre les jambes des passantes les dadaïstes auraient voulu trouver une clef à molette, et les surréalistes une coupe de cristal, cíest perdu. Nous savons lire sur les visages toutes les promesses, dernier état de la morphologie. La poésie des affiches a duré vingt ans. Nous nous ennuyons dans la ville, il faut se fatiguer salement pour découvrir encore des mystères sur les pancartes de la voie publique, dernier état de líhumour et de la poésie :

Bain-Douches des Patriarches
Machines à trancher les viandes
Zoo Notre-Dame
Pharmacie des Sports
Alimentation des Martyrs
Béton translucide
Scierie Main-díor
Centre de récupération fonctionnelle
Ambulance Sainte-Anne
Cinquième avenue café
Rue des Volontaires Prolongée
Pension de famille dans le jardin
Hôtel des Étrangers
Rue Sauvage

Et la piscine de la rue des Fillettes. Et le commissariat de police de la rue du Rendez-vous. La clinique médico-chirurgicale et le bureau de placement gratuit du quai des Orfèvres. Les fleurs artificielles de la rue du Soleil. Líhôtel des Caves du Château, le bar de líOcéan et le café du Va et Vient. Líhôtel de líÉpoque.

Et líétrange statue du Docteur Philippe Pinel, bienfaiteur des aliénés, dans les derniers soirs de líété. Explorer Paris.

Et toi oubliée, tes souvenirs ravagés par toutes les consternations de la mappemonde, échouée au Caves Rouges de Pali-Kao, sans musique et sans géographie, ne partant plus pour líhacienda où les racines pensent à líenfant et où le vin síachève en fables de calendrier. Maintenant cíest joué. Líhacienda, tu ne la verras pas. Elle níexiste pas.

Il faut construire líhacienda.

*

Toutes les villes sont géologiques et líon ne peut faire trois pas sans rencontrer des fantômes, armés de tout le prestige de leurs légendes. Nous évoluons dans un paysage fermé dont les points de repère nous tirent sans cesse vers le passé. Certains angles mouvants, certaines perspectives fuyantes nous permettent díentrevoir díoriginales conceptions de líespace, mais cette vision demeure fragmentaire. Il faut la chercher sur les lieux magiques des contes du folklore et des écrits surréalistes : châteaux, murs interminables, petits bars oubliés, caverne du mammouth, glace des casinos.

Ces images périmées conservent un petit pouvoir de catalyse, mais il est presque impossible de les employer dans un urbanisme symbolique sans les rajeunir, en les chargeant díun sens nouveau. Notre mental hanté par de vieilles images-clefs est resté très en arrière des machines perfectionnées. Les diverses tentatives pour intégrer la science moderne dans de nouveaux mythes demeurent insuffisantes. Depuis, líabstrait a envahi tous les arts, en particulier líarchitecture díaujourdíhui. Le fait plastique à líétat pur, sans anecdote mais inanimé, repose líúil et le refroidit. Ailleurs se retrouvent díautres beautés fragmentaires, et de plus en plus lointaine la terre des synthèses promises. Chacun hésite entre le passé vivant dans líaffectif et líavenir mort dès à présent.

Nous ne prolongerons pas les civilisations mécaniques et líarchitecture froide qui mènent à fin de course aux loisirs ennuyés.

Nous nous proposons díinventer de nouveaux décors mouvants. (Ö)

Líobscurité recule devant líéclairage et les saisons devant les salles climatisées : la nuit et líété perdent leurs charmes, et líaube disparaît. Líhomme des villes pense síéloigner de la réalité cosmique et ne rêve pas plus pour cela. La raison en est évidente : le rêve a son point de départ dans la réalité et se réalise en elle.

Le dernier état de la technique permet le contact permanent entre líindividu et la réalité cosmique, tout en supprimant ses désagréments. Le plafond de verre laisse voir les étoiles et la pluie. La maison mobile tourne avec le soleil. Ses murs à coulisses permettent à la végétation díenvahir la vie. Montée sur glissières, elle peut síavancer le matin jusquíà la mer, pour rentrer le soir dans la forêt.

Líarchitecture est le plus simple moyen díarticuler le temps et líespace, de moduler la réalité, de faire rêver. Il ne síagit pas seulement díarticulation et de modulation plastiques, expression díune beauté passagère. Mais díune modulation influentielle, qui síinscrit dans la courbe éternelle des désirs humains et des progrès dans la réalisation de ces désirs.

Líarchitecture de demain sera donc un moyen de modifier les conceptions actuelles du temps et de líespace. Elle sera un moyen de connaissance et un moyen díagir.

Le complexe architectural sera modifiable. Son aspect changera en partie ou totalement suivant la volonté de ses habitants. (Ö)

Les collectivités passées offraient aux masses une vérité absolue et des exemples mythiques indiscutables. Líentrée de la notion de relativité dans líesprit moderne permet de soupçonner le côté EXPÉRIMENTAL de la prochaine civilisation, encore que le mot ne me satisfasse pas. Disons plus souple, plus « amusé ». Sur les bases de cette civilisation mobile, líarchitecture sera ó au moins à ses débuts ó un moyen díexpérimenter les mille façons de modifier la vie, en vue díune synthèse qui ne peut être que légendaire.

Une maladie mentale a envahi la planète : la banalisation. Chacun est hypnotisé par la production et le confort ó tout-à-líégoût, ascenseur, salle de bains, machine à laver.

Cet état de fait qui a pris naissance dans une protestation contre la misère dépasse son but lointain ó libération de líhomme des soucis matériels ó pour devenir une image obsédante dans líimmédiat. Entre líamour et le vide-ordure automatique la jeunesse de tous les pays a fait son choix et préfère le vide-ordure. Un revirement complet de líesprit est devenu indispensable, par la mise en lumière de désirs oubliés et la création de désirs entièrement nouveaux. Et par une propagande intensive en faveur de ces désirs.

Nous avons déjà signalé le besoin de construire des situations comme un des désirs de base sur lesquels serait fondée la prochaine civilisation. Ce besoin de création absolue a toujours été étroitement mêlé au besoin de jouer avec líarchitecture, le temps et líespace. (Ö)

Un des plus remarquables précurseurs de líarchitecture restera Chirico. Il síest attaqué aux problèmes des absences et des présences à travers le temps et líespace.

On sait quíun objet, non remarqué consciemment lors díune première visite, provoque par son absence au cours des visites suivanes, une impression indéfinissable : par un redressement dans le temps, líabsence de líobjet se fait présence sensible. Mieux : bien que restant généralement indéfinie, la qualité de líimpression varie pourtant suivant la nature de líobjet enlevé et líimportance que le visiteur lui accorde, pouvant aller de la joie sereine à líépouvante (peu nous importe que dans ce cas précis le véhicule de líétat díâme soit la mémoire. Je níai choisi cet exemple que pour sa commodité).

Dans la peinture de Chirico (période des Arcades) un espace vide crée un temps bien rempli. Il est aisé de se représenter líavenir que nous réserverons à de pareils architectes, et quelles seront leurs influences sur les foules. Nous ne pouvons aujourdíhui que mépriser un siècle qui relègue de pareilles maquettes dans de prétendus musées.

Cette vision nouvelle du temps et de líespace qui sera la base théorique des constructions à venir, níest pas au point et ne le sera jamais entièrement avant díexpérimenter les comportements dans des villes réservées à cet effet, où seraient réunis systématiquement, outre les établissements indispensables à un minimum de confort et de sécurité, des bâtiments chargés díun grand pouvoir évocateur et influentiel, des édifices symboliques figurant les désirs, les forces, les événements passés, présents et à venir. Un élargissement rationnel des anciens systèmes religieux, des vieux contes et surtout de la psychanalyse au bénéfice de líarchitecture se fait plus urgent chaque jour, à mesure que disparaissent les raisons de se passionner.

En quelque sorte chacun habitera sa « cathédrale » personnelle. Il y aura des pièces qui feront rêver mieux que des drogues, et des maisons où líon ne pourra quíaimer. Díautres attireront invinciblement les voyageursÖ

On peut comparer ce projet aux jardins chinois et japonais en trompe-líúil ó à la différence que ces jardins ne sont pas faits pour y vivre entièrement ó ou au labyrinthe ridicule du Jardin des Plantes à líentrée duquel on peut lire, comble de la bêtise, Ariane en chômage : Les jeux sont interdits dans le labyrinthe.

Cette ville pourrait être envisagée sous la forme díune réunion arbitraire de châteaux, grottes, lacs, etcÖ Ce serait le stade baroque de líurbanisme considéré comme un moyen de connaissance. Mais déjà cette phase théorique est dépassée. Nous savons que líon peut construire un immeuble moderne dans lequel on ne reconnaîtrait en rien un château médiéval, mais qui garderait et multiplierait le pouvoir poétique du Château (par la conservation díun strict minimum de lignes, la transposition de certaines autres, líemplacement des ouvertures, la situation topographique, etc.).

Les quartiers de cette ville pourraient correspondre aux divers sentiments catalogués que líon rencontre par hasard dans la vie courante.

Quartier Bizarre ó Quartier Heureux, plus particulièrement réservé à líhabitation ó Quartier Noble et Tragique (pour les enfants sages) ó Quartier Historique (musées, écoles) ó Quartier Utile (hôpital, magasins díoutillage) ó Quartier Sinistre, etcÖ Et un Astrolaire qui grouperait les espèces végétales selon les relations quíelles attestent avec le rythme stellaire, jardin planétaire comparable à celui que líastronome Thomas se propose de faire établir à Vienne au lieu dit Laaer Berg. Indispensable pour donner aux habitants une conscience du cosmique. Peut-être aussi un Quartier de la Mort, non pour y mourir mais pour y vivre en paix, et ici je pense au Mexique et à un principe de cruauté dans líinnocence qui me devient chaque jour plus cher.

Le Quartier Sinistre, par exemple, remplacerait avantageusement ces trous, bouches des enfers, que bien des peuples possédaient jadis dans leur capitale : ils symbolisaient les puissances maléfiques de la vie. Le Quartier Sinistre níaurait nul besoin de recéler des dangers réels, tels que pièges, oubliettes, ou mines. Il serait díapproche compliquée, affreusement décoré (sifflets stridents, cloches díalarmes, sirènes périodiques à cadence irrégulière, sculptures monstrueuses, mobiles mécaniques à moteurs, dits Auto-Mobiles) et peu éclairé la nuit, autant que violemment éclairé le jour par un emploi abusif du phénomène de réverbération. Au centre, la « Place du Mobile Épouvantable ». La saturation du marché par un produit provoque la baisse de ce produit : líenfant et líadulte apprendraient par líexploration du quartier sinistre à ne plus craindre les manifestations angoissantes de la vie, mais à síen amuser.

Líactivité principale des habitants sera la DÉRIVE CONTINUE. Le changement de paysage díheure en heure sera responsable du dépaysement complet. (Ö)

Plus tard, lors de líinévitable usure des gestes, cette dérive quittera en partie le domaine du vécu pour celui de la représentation. (Ö)

Líobjection économique ne résiste pas au premier coup díúil. On sait que plus un lieu est réservé à la liberté de jeu, plus il influe sur le comportement et plus sa force díattraction est grande. Le prestige immense de Monaco, de Las Vegas, en est la preuve. Et Reno, caricature de líunion libre. Pourtant il ne síagit que de simples jeux díargent. Cette première ville expérimentale vivrait largement sur un tourisme toléré et contrôlé. Les prochaines activités et productions díavant-garde síy concentreraient díelles-mêmes. En quelques années elle deviendrait la capitale intellectuelle du monde, et serait partout reconnue comme telle.

GILLES IVAIN

LíInternationale lettriste avait adopté en octobre 1953 ce rapport de Gilles Ivain sur líurbanisme, qui constitua un élément décisif de la nouvelle orientation prise alors par líavant-garde expérimentale. Le présent texte a été établi à partir de deux états successifs du manuscrit, comportant de légères différences de formulation, conservés dans les archives de líI.L., puis devenus les pièces numéro 103 et numéro 108 des Archives Situationnistes.

 

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Thèses sur la révolution culturelle

 

1

LE BUT TRADITIONNEL de líesthétique est de faire sentir, dans la privation et líabsence, certains éléments passés de la vie qui, par une médiation artistique, échapperaient à la confusion des apparences, líapparence étant alors ce qui subit le règne du temps. Le degré de la réussite esthétique se mesure donc à une beauté inséparable de la durée, et tendant même à une prétention díéternité. Le but des situationnistes est la participation immédiate à une abondance passionnelle de la vie, à travers le changement de moments périssables délibérément aménagés. La réussite de ces moments ne peut être que leur effet passager. Les situationnistes envisagent líactivité culturelle, du point de vue de la totalité, comme méthode de construction expérimentale de la vie quotidienne, développable en permanence avec líextension des loisirs et la disparition de la division du travail (à commencer par la division du travail artistique).

 

2

Líart peut cesser díêtre un rapport sur les sensations pour devenir une organisation directe de sensations supérieures. Il síagit de produire nous-mêmes, et non des choses qui nous asservissent.

 

3

Mascolo a raison de dire (Le Communisme) que la réduction de la journée de travail par le régime de la dictature du prolétariat est « la plus certaine assurance quíil puisse donner de son authenticité révolutionnaire ». En effet, « si líhomme est une marchandise, síil est traité comme une chose, si les rapports généraux des hommes entre eux sont des rapports de chose à chose, cíest quíil est possible de lui acheter son temps ». Mascolo cependant conclue trop vite que « le temps díun homme librement employé » est toujours bien employé, et que « líachat du temps est le seul mal ». Il níy a pas de liberté dans líemploi du temps sans la possession des instruments modernes de construction de la vie quotidienne. Líusage de tels instruments marquera le saut díun art révolutionnaire utopique à un art révolutionnaire expérimental.

 

4

Une association internationale de situationnistes peut être considérée comme une union des travailleurs díun secteur avancé de la culture, ou plus exactement comme une union de tous ceux qui revendiquent le droit à un travail que les conditions sociales entravent maintenant ; donc comme une tentative díorganisation de révolutionnaires professionnels dans la culture.

 

5

Nous sommes séparés pratiquement de la domination réelle des pouvoirs matériels accumulés par notre temps. La révolution communiste níest pas faite et nous sommes encore dans le cadre de la décomposition des vieilles superstructures culturelles. Henri Lefebvre voit justement que cette contradiction est au centre díun désaccord spécifiquement moderne entre líindividu progressiste et le monde, et appelle romantique-révolutionnaire la tendance culturelle qui se fonde sur ce désaccord. Líinsuffisance de la conception de Lefebvre est de faire de la simple expression du désaccord le critère suffisant díune action révolutionnaire dans la culture. Lefebvre renonce par avance à toute expérience de modification culturelle profonde en se satisfaisant díun contenu : la conscience du possible-impossible (encore trop lointain), qui peut être exprimée sous níimporte quelle forme prise dans le cadre de la décomposition.

 

6

Ceux qui veulent dépasser, dans tous ses aspects, líancien ordre établi ne peuvent síattacher au désordre du présent, même dans la sphère de la culture. Il faut lutter sans plus attendre, aussi dans la culture, pour líapparition concrète de líordre mouvant de líavenir. Cíest sa possibilité, déjà présente parmi nous, qui dévalorise toutes les expressions dans les formes culturelles connues. Il faut mener à leur destruction extrême toutes les formes de pseudo-communication, pour parvenir un jour à une communication réelle directe (dans notre hypothèse díemploi de moyens culturels supérieurs : la situation construite). La victoire sera pour ceux qui auront su faire le désordre sans líaimer.

 

7

Dans le monde de la décomposition nous pouvons faire líessai mais non líemploi de nos forces. La tâche pratique de surmonter notre désaccord avec le monde, cíest-à-dire de surmonter la décomposition par quelques constructions supérieures, níest pas romantique. Nous serons des « romantiques-révolutionnaires », au sens de Lefebvre, exactement dans la mesure de notre échec.

 

G.-EDEBORD

 

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Les situationnistes et líautomation

« Je rassemble aussi quelques citations pour un article sur les perspectives de líautomation, article que nous devrions, je crois, écrire ensemble. » ó GUY DEBORD, lettre à Asger Jorn, 1er septembre 1957.

IL EST assez étonnant que presque personne, jusquíà présent, níose développer la pensée de líautomation jusquíà ses dernières conséquences. Par le fait, il níy a pas de véritables perspectives. On a plutôt líimpression que les ingénieurs, les savants, les sociologues essaient de faire passer líautomation en fraude dans la société.

Pourtant líautomation est maintenant au centre du problème de la domination socialiste de la production et de la prééminence des loisirs sur le temps de travail. La question de líautomation est la plus chargée de possibilités positives et négatives.

Le but du socialisme est líabondance : le plus grand nombre de biens au plus grand nombre de gens, ce qui implique statistiquement la réduction jusquíà líimprobable des apparitions de líimprévu. La croissance du nombre des biens réduit la valeur de chacun. Cette dévalorisation de tous les biens humains à un stade de neutralité pour ainsi dire parfaite sera le résultat inévitable díun développement purement scientifique du socialisme. Il est regrettable que bien des intellectuels ne dépassent pas cette idée de la reproduction mécanique, et préparent líadaptation de líhomme à ce futur incolore et symétrisé. De sorte que les artistes, spécialisés dans la recherche de líunique, se tournent avec hostilité, en nombre croissant, contre le socialisme. À líinverse les politiques du socialisme entretiennent la méfiance contre toutes les manifestations de puissance ou díoriginalité artistiques.

Attachés à leurs positions conformistes, les uns et les autres font preuve díune certaine mauvaise humeur envers líautomation, qui risque de remettre en cause profondément leurs conceptions économiques et culturelles. Il y a, dans toutes les tendances « díavant-garde » un défaitisme à propos de líautomation ou, au mieux, une sous-estimation des éléments positifs de líavenir dont les débuts de líautomation révèlent brusquement la proximité. En même temps les forces réactionnaires font étalage díun optimisme idiot.

Une anecdote est significative. Lían dernier dans la revue Quatrième Internationale le militant marxiste Livio Maitan rapportait quíun prêtre italien avait déjà avancé líidée díune seconde messe hebdomadaire, nécessitée par líaccroissement du temps libre. Maitan répondait : « Líerreur consiste en ce que líon estime que líhomme de la société nouvelle sera le même que dans la présente société, alors quíen réalité il aura des besoins et des exigences complètement divers quíil nous est difficile même de concevoir ». Mais líerreur de Maitan est de laisser au vague futur les nouvelles exigences quíil lui est « difficile même de concevoir ». Le rôle dialectique de líesprit est díincliner le possible vers des formes souhaitables. Maitan oublie que toujours « les éléments díune société nouvelle se sont formés dans la société ancienne », comme dit le Manifeste communiste. Des éléments díune vie nouvelle doivent déjà être en formation parmi nous ó dans le champ de la culture ó, et cíest à nous de nous en servir pour passionner le débat.

Le socialisme, qui tend à la plus complète libération des énergies et des capacités qui sont dans chaque individu, sera obligé de voir dans líautomation une tendance anti-progressiste en soi, rendue progressiste uniquement par sa relation avec de nouvelles provocations capables díextérioriser les énergies latentes de líhomme. Si, comme le prétendent les savants et les techniciens, líautomation est un nouveau moyen de libération de líhomme, elle doit impliquer un dépassement des précédentes activités humaines. Ceci oblige líimagination active de líhomme à dépasser la réalisation de líautomation même. Où trouvons-nous de telles perspectives, qui rendraient líhomme maître et non esclave de líautomation ?

Louis Salleron explique dans son étude sur LíAutomation que celle-ci « comme presque toujours en matière de progrèsÖ ajoute plus quíelle ne remplace ou quíelle ne supprime ». Quíest-ce que líautomation, en elle-même, ajoute à la possibilité díaction de líhomme ? Nous avons appris quíelle supprime celui-ci complètement dans son propre domaine.

La crise de líindustrialisation est une crise de consommation et de production. La crise de production est plus importante que la crise de consommation, celle-ci étant conditionnée par la première. Transposé sur le plan individuel, ceci équivaut à la thèse quíil est plus satisfaisant de donner que de recevoir, díêtre capable díajouter que de supprimer. Líautomation possède ainsi deux perspectives opposées : elle enlève à líindividu toute possibilité díajouter quoi que ce soit de personnel à la production automatisée qui est une fixation du progrès, et en même temps elle économise des énergies humaines massivement libérées des activités reproductives et non-créatives. La valeur de líautomation dépend donc des projets qui la dépassent, et qui dégagent de nouvelles énergies humaines sur un plan supérieur.

Líactivité expérimentale dans la culture, aujourdíhui, a ce champ incomparable. Et líattitude défaitiste ici, la démission devant les possibilités de líépoque, est symptomatique des anciennes avant-gardes qui veulent rester, comme líécrit Edgar Morin, « à ronger un os du passé ». Un surréaliste nommé Benayoun dit dans le numéro 2 du Surréalisme même, dernière expression de ce mouvement : « Le problème des loisirs tourmente déjà les sociologuesÖ On ne réclamera plus des techniciens, mais des clowns, des chanteurs de charme, des ballerines, des hommes caoutchouc. Une journée de travail pour six de repos : líéquilibre entre le sérieux et le futile, líoisif et le laborieux risque fort díêtre renverséÖ le ìtravailleurî, dans son désúuvrement sera crétinisé par une télévision convulsionnaire, envahissante, à court díidées, en quête de talents ». Ce surréaliste ne voit pas quíune semaine de six jours de repos níentraînera pas un « renversement de líéquilibre » entre le futile et le sérieux mais un changement de nature du sérieux aussi bien que du futile. Il níespère que des quiproquos, des retournements ridicules du monde donné quíil conçoit, à líimage du surréalisme vieilli, comme une sorte de vaudeville intangible. Pourquoi cet avenir serait-il líhypertrophie des bassesses du présent ? Et pourquoi serait-il « à court díidées » ? Est-ce que cela veut dire quíil sera à court díidées surréalistes de 1924 améliorées en 1936 ? Cíest probable. Ou est-ce que cela veut dire que les imitateurs du surréalisme sont à court díidées ? Nous le savons bien.

Les loisirs nouveaux paraissent un abîme que la société actuelle ne pense à combler quíen multipliant des pseudo-jeux de bricolage dérisoire. Mais ils sont en même temps la base sur laquelle peut síédifier la plus grandiose construction culturelle qui ait jamais été imaginée. Ce but est évidemment en dehors du cercle díintérêt des partisans de líautomation. Nous savons même quíil est antagoniste à la tendance directe de líautomation. Si nous voulons discuter avec les ingénieurs, nous devrons passer dans leur propre champ díintérêt. Maldonado, qui dirige actuellement à Ulm la « Hochschule für Gestaltung », explique que le développement de líautomation est compromis parce quíon ne trouve guère díenthousiasme dans la jeunesse pour se lancer dans la voie polytechnique, mis à part des spécialistes des fins mêmes de líautomation, dépourvus díune perspective culturelle générale. Mais Maldonado qui justement devrait montrer cette perspective générale líignore complètement : líautomation ne peut se développer rapidement quíà partir du moment où elle a établi comme but une perspective contraire à son propre établissement, et si on sait réaliser une telle perspective générale au fur et à mesure du développement de líautomation.

Maldonado propose le contraire : díabord établir líautomation, et ensuite son usage. On pourrait discuter de ce procédé si le but níétait pas précisément líautomation, parce que líautomation níest pas une action dans un domaine, qui provoquerait une anti-action. Cíest la neutralisation díun domaine, qui en viendrait à neutraliser aussi les champs extérieurs si des actions contradictoires níétaient pas entreprises en même temps.

Pierre Drouin parlant dans Le Monde du 5 janvier 1957 de líextension des hobbies, comme réalisation des virtualités dont les travailleurs ne peuvent plus trouver líemploi dans leur activité professionnelle, conclut quíen chaque homme « il y a un créateur qui sommeille ». Cette vieille banalité est díune vérité brûlante aujourdíhui si on la rattache aux réelles possibilités matérielles de notre époque. Le créateur qui sommeille doit síéveiller, et son état de veille peut bien síappeler situationniste.

Líidée de standardisation est un effort pour réduire et simplifier le plus grand nombre des besoins humains à la plus grande égalité. Il dépend de nous que la standardisation ouvre ou non des domaines díexpérience plus intéressants que ceux quíelle ferme. Selon le résultat, on peut aboutir à un abrutissement total de la vie de líhomme, ou à la possibilité de découvrir en permanence des nouveaux désirs. Mais ces nouveaux désirs ne se manifesteront pas tout seuls, dans le cadre oppressif de notre monde. Il faut une action commune pour les détecter, les manifester, les réaliser.

ASGER JORN

 

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Pas díindulgences inutiles

 

UNE COLLABORATION díallure, si líon veut, intellectuelle ou artistique, dans un groupe se livrant à des recherches du genre des nôtres, engage plus ou moins notre usage de la vie quotidienne. Elle est toujours mêlée díune certaine amitié.

Par conséquent lorsque nous pensons à ceux qui ont participé à cet accord, puis en ont été exclus, nous sommes obligés de penser quíils ont aussi été nos amis. Quelquefois, cíest un plaisir. Pour díautres, cíest ridicule et gênant.

Dans líensemble, la suite a prouvé le bien fondé de nos reproches et le caractère irrécupérable des gens qui níont pu se maintenir parmi nous. Peu díentre eux, mais enfin il y en eut, ont rejoint líÉglise ou les troupes coloniales. Les autres se suffisent de líintelligentsia. Ils y vieillissent. Notre époque est telle quíils níy font pas même carrière : Françoise Giroud est parfaite dans sa place, et aussi longtemps que ce genre se portera il níy a aucune raison de la remplacer par du demi-génie en chômage. De sorte que líun, qui travaillait sous de faux noms dans la littérature pornographique-du-cúur, en est venu, pour donner du goût à la chose, à faire de nouveaux ouvrages du genre, et à rééditer certains des anciens, sous sa véritable identité dí« artiste díavant-garde ». Si donc il retrouvait, par hasard, un second souffle, cíest sous le manteau quíil devrait exprimer une idée sérieuse, pour faire croire que cíest un autre. Ce níest pas le même qui a fini par se faire un nom en fournissant un mode de rébus aux potins de la commère, cíest un proche disciple. Mais très éloigné de telles ambitions, résigné à être négligé par tous, cet honnête théoricien belge qui fut autrefois, avec certains de nos amis díà présent dans lí« Internationale des artistes expérimentaux » síest, lui, si bien retranché dans les goûts et les souvenirs de sa jeunesse quíil peut utiliser dans un débat idéologique quelques arguments nationalistesó en faveur de la Belgique bien sûr.

Un plus grand nombre encore díindividus nía même jamais pu parvenir à síintégrer à nous, malgré líindulgence extrême que nous avons toujours eue pour ceux qui níavaient encore rien fait, rien dit, ou seulement quelques vagues sottises. Nous en avons vu beaucoup, qui sentaient confusément que quelque chose devait se passer là, et qui tournaient autour, très attirés sans être eux-mêmes très attirants. Ils étaient finalement sur le modèle du fidèle jeune homme dans la garde montante du surréalisme, un couteau sans manche auquel il manque quelque chose.

La récente constitution de líInternationale situationniste a donné une nouvelle actualité aux questions díaccord et de rupture. Une période de discussions, de pourparlers à égalité entre divers groupes, commencée au congrès díAlba, síest close à Cosio díArroscia au profit díune organisation disciplinée. Le résultat de ces conditions objectives nouvelles a été díobliger à líopposition ouverte certains éléments opportunistes, qui ont été immédiatement éliminés (épuration de la section italienne). Díautre part, certaines attitudes díattentisme ont cessé díêtre tolérables, et ceux de nos alliés qui níont pas cru devoir nous rejoindre immédiatement se sont par là démasqués comme adversaires. Cíest sur le programme développé depuis lors par la majorité de líI.S. que nous ont rejoint tous les éléments nouveaux, et ce serait risquer de se couper de ces éléments, et surtout de ceux que nous rencontrerons dans líavenir, que díaccepter de poursuivre le moindre dialogue avec ceux qui ont manifesté, depuis Alba, leur irrémédiable usure.

Nous sommes devenus plus forts, plus séduisants donc. Nous ne voulons toujours pas de relations inoffensives, et nous ne voulons pas de relations qui puissent servir nos adversaires. Mathieu, qui pourtant ne peut pas ignorer ce que nous pensons de lui, essayait en mars dernier de faire glisser une de ses úuvres dans une construction díambiance situationniste projetée. Et Tapié níen vient-il pas à dire, par une méthode qui fait aussitôt penser à la bande de singes pillant un dépôt de machines à écrire : « Comme le passionnel est autre, à son échelle tout change dans les structures du comportement : líúuvre complète à líéchelle de maintenant est celle où les structures autres, donc ensemblistes, transcendent un contenu au moins passionnel » (Évidences paroxystiques qui datent díavril dernier) ? Mais il est hautement improbable quíil arrive tout seul à trouver un sens à son enchaînement de vocabulaire parodique, et hautement improbable que nous acceptions jamais ses avances. Quíil disparaisse tout de suite, nous verrons bien si les prochains ne seront pas meilleurs.

Disons nettement que tous les situationnistes conserveront líhéritage des inimitiés de leurs groupements constitutifs, et quíil níy a pas de retour possible pour ceux que nous avons une fois été contraints de mépriser. Mais nous níavons pas de la rupture une conception idéaliste, abstraite, absolue. Il faut voir quand une rencontre dans une tâche collective concrète devient impossible, mais aussi chercher si cette rencontre, dans des circonstances changées, ne redevient pas possible et souhaitable, entre des personnes qui ont pu se garder une certaine estime.

Il y a des gens ó deux ou trois peut-être ó que nous avons connus, qui ont travaillé avec nous, qui sont partis, ou qui ont été priés de le faire pour des raisons aujourdíhui dépassées. Et qui, depuis, se sont gardés de toute résignation : du moins il nous est permis de líespérer. Pour les avoir connus, et pour avoir su quelles étaient leurs possibilités, nous pensons quíelles sont égales ou supérieures maintenant, et que leur place peut encore être avec nous. Il est vrai quíun travail commun tel que celui que nous avions entrepris, et que nous poursuivons, ne peut aller sans être mêlé díamitié. Je líai dit pour commencer. Mais il est vrai aussi quíil ne peut être assimilé à líamitié, et quíil ne devrait pas être sujet aux mêmes faiblesses. Ni aux mêmes modes de continuité ou de relâchement.

MICHÈLE BERNSTEIN

 

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Nouvelles de líInternationale

 

Éditions pour líagitation situationniste

LE 1er JANVIER 1958 a été publié à Munich un premier manifeste de la section allemande de líI.S., sous le titre « Nervenruh ! Keine Experimente ! » Dénonçant assez violemment la misère des pseudo-nouveautés culturelles, ce tract ne manque pas díen désigner líissue : « Damen und Herren: lassen Sie sich nicht provozieren: Das ist das letzte Gefecht! Ö Wann kommt der neue Einheitsstuhl? Ein Gespenst geistert durch die Welt: die situationistische Internationale. »

Peu après la section française éditait le tract Nouveau théâtre díopérations dans la culture et líappel Aux producteurs de líart moderne (« Si vous êtes fatigués díimiter des démolitions ; síil vous apparaît que les redites fragmentaires que líon attend de vous sont dépassées avant díêtre, prenez contact avec nous pour organiser à un niveau supérieur de nouveaux pouvoirs de transformation du milieu ambiant. »).

Potlatch, bulletin díinformation de líInternationale lettriste jusquíà son numéro 28, est passé sous le contrôle de notre organisation unie dont la section française en poursuivra la parution occasionnelle. En juin vient díêtre édité par líI.S., à Paris, le livre díAsger Jorn intitulé Pour la Forme, recueil de plusieurs écrits publiés en différentes langues entre 1953 et 1957, présentant líessentiel des apports théoriques du Mouvement International pour un Bauhaus Imaginiste, qui síest également intégré dans la nouvelle Internationale.

En Belgique nos camarades ont publié, dans un livre consacré à líhistoire de la galerie díavant-garde « Taptoe » ó qui fut achevée avec la manifestation psychogéographique de février 1957 ó, une interview de Jorn sur le sens des changements de líart expérimental avant et depuis le mouvement « Cobra » (1949-1951), et une deuxième édition du Rapport sur la construction des situations. Une traduction de ce rapport, effectuée par notre section italienne, a paru en mai, à Turin (Éditions Notizie).

La section belge de líI.S. síest en outre préoccupée díétendre sa propagande à la Hollande, avec líétude de Walter Korun sur les origines de líInternationale situationniste et son programme actuel, écrite en néerlandais pour le n° 11 de la revue Gard-Sivik.

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Deuxième Conférence de líI.S.

LA DEUXIÈME CONFÉRENCE de líInternationale situationniste réunie à Paris les 25 et 26 janvier, six mois après la conférence díunification de Cosio díArroscia (juillet 1957), a particulièrement traité du développement de notre action dans líEurope du nord et en Allemagne, de líactivité éditoriale, de líorganisation díune dérive expérimentale effectuée simultanément par plusieurs groupes en liaison radiophonique, des premières possibilités díapplication de certaines constructions díambiances. La conférence a procédé à líépuration de la section italienne dans laquelle une fraction avait soutenu des thèses idéalistes et réactionnaires, puis síétait abstenue de toute autocritique après quíelles eussent été réfutées et condamnées par la majorité. La conférence a ainsi décidé líexclusion de W. Olmo, P. Simondo, E. Verrone.

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Venise a vaincu Ralph Rumney

LE SITUATIONNISTE BRITANNIQUE Ralph Rumney qui avait mené dès le printemps de 1957 quelques reconnaissances psychogéographiques dans Venise, síétait ultérieurement fixé pour but líexploration systématique de cette agglomération, et espérait pouvoir en présenter un compte rendu exhaustif autour de juin 1958 (cf. une annonce du n° 29 de Potlatch). Líentreprise se développa díabord favorablement. Rumney, qui était parvenu à établir les premiers éléments díun plan de Venise dont la technique de notation surpassait nettement toute la cartographie psychogéographique antérieure, faisait part à ses camarades de ses découvertes, de ses premières conclusions, de ses espoirs. Vers le mois de janvier 1958, les nouvelles devinrent mauvaises. Rumney, aux prises avec des difficultés sans nombre, de plus en plus attaché par le milieu quíil avait essayé de traverser, devait abandonner líune après líautre ses lignes de recherches et, pour finir, comme il nous le communiquait par son émouvant message du 20 mars, se voyait ramené à une position purement statique.

Les anciens explorateurs ont connu un pourcentage élevé de pertes au prix duquel on est parvenu à la connaissance díune géographie objective. Il fallait síattendre à voir des victimes parmi les nouveaux chercheurs, explorateurs de líespace social et de ses modes díemploi. Les embûches sont díun autre genre, comme líenjeu est díune autre nature : il síagit de parvenir à un usage passionnant de la vie. On se heurte naturellement à toutes les défenses díun monde de líennui. Rumney vient donc de disparaître, et son père níest pas encore parti à sa recherche. Voilà que la jungle vénitienne a été la plus forte, et quíelle se referme sur un jeune homme, plein de vie et de promesses, qui se perd, qui se dissout parmi nos multiples souvenirs.

« Nous préparons líimpression de la revue. Il faudrait envoyer vite au moins quelques pages déjà écrites de Psychogeographical Venice, pour que tu figures dans ce premier numéro. » ó GUY DEBORD, lettre à Ralph Rumney, 27 décembre 1957.

« Nous nous avisons soudain que nous níavons pas de nouvelles de toi depuis assez longtemps ; que tu nías encore fait aucun réel travail avec nous ; et que, cependant, tu níhésites pas à faire mention de ta collaboration avec líInternationale situationniste à propos de ton exposition ìapaiséeî de Milan.
Nous te trouvons bien sympathique, cíest entendu, mais tu peux penser quíil níest pas dans nos habitudes de prolonger longtemps la négligence en certaines affaires, auxquelles tu as choisi, comme nous, díêtre mêlé.
Nous allons donc dissiper promptement líéquivoque :
Dans le cas où tu voudrais participer encore à ce que nous faisons, il te suffira de nous envoyer avant la fin du mois de mars
1° ó Le texte destiné à notre revue, qui est sous presse.
2° ó Une relation satisfaisante sur tes activités dans ces derniers mois.
Après le 31 mars, cíest inutile : la revue indiquera précisément les participants à notre action. » ó A
SGER JORN & GUY DEBORD, lettre à Ralph Rumney, 13 mars 1958.

« Nous avons envoyé un petit ultimatum à Rumney, le sommant de donner des nouvelles satisfaisantes de son activité, et de nous faire parvenir le texte promis pour la revue, avant le 31 mars, faute de quoi nous ne le considérerions plus comme étant des nôtres. » ó GUY DEBORD, lettre à Pinot Gallizio, 14 mars 1958.

« Ralph Rumney a répondu gentiment que ses travaux ménagers, et ses ennuis avec Pegeen [Guggenheim], líempêchaient de collaborer effectivement avec nous mais quíil espérait que, peut-être, plus tard, cela irait mieux. Par conséquent Rumney nía plus rien de commun avec les situationnistes, et nous le notifierons officiellement dans notre revue. » ó GUY DEBORD, lettre à Pinot Gallizio, 4 avril 1958.

« Ce que vous me dites de Ralph confirme aussi ce que nous en pensions : le pauvre garçon est fini. » ó GUY DEBORD, lettre à Pinot Gallizio et Giors Melanotte, 16 juin 1958.

« Líex-situationniste anglais Ralph Rumney se refusant à comprendre le caractère définitif de son exclusion, annoncée dans notre précédent numéro, nous sommes obligés de rappeler quíil nous paraît devenu complètement inintéressant, tant par ses idées que par sa vie. Ce quíil pourrait publier, sur la psychogéographie ou sur tout autre sujet, dans la revue Ark ou ailleurs, et quelque usage quíil veuille faire du nom de certains de nous, ne saurait aucunement concerner líI.S. » ó Renseignements situationnistes (Internationale situationniste n° 2, décembre 1958).

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Action en Belgique contre líAssemblée des critiques díart internationaux

LE 12 AVRIL, deux jours avant la réunion à Bruxelles díune assemblée générale des critiques díart internationaux, les situationnistes diffusaient largement une adresse à cette assemblée, signée ó au nom des sections algérienne, allemande, belge, française, italienne et scandinave de líI.S. ó par Khatib, Platschek, Korun, Debord, Pinot-Gallizio et Jorn :

« Ce qui se fait ici vous paraît à tous simplement ennuyeux. LíInternationale situationniste considère pourtant que cet attroupement de tant de critiques díart comme attraction de la Foire de Bruxelles est ridicule, mais significatif.

Dans la mesure où la pensée moderne, pour la culture, se découvre avoir été parfaitement stagnante depuis vingt-cinq ans ; dans la mesure où toute une époque, qui nía rien compris et nía rien changé, prend conscience de son échec, ses responsables tendent à transformer leurs activités en institutions. Ils en appellent ainsi à une reconnaissance officielle de la part díun ensemble social à tous égards périmé mais encore matériellement dominant, dont ils ont été dans la plupart des cas les bons chiens de garde.

La carence principale de la critique dans líart moderne est de níavoir jamais su concevoir la totalité culturelle, et les conditions díun mouvement expérimental qui la dépasse perpétuellement. En ce moment, la domination accrue de la nature permet et nécessite líemploi de pouvoirs supérieurs de construction de la vie. Ce sont là les problèmes díaujourdíhui ; et ces intellectuels qui retardent, par peur de la subversion générale díune certaine forme díexistence et des idées quíelle a produites, ne peuvent plus que síaffronter irrationnellement, en champions de tel ou tel détail du vieux monde ó díun monde achevé, et dont ils níont même pas connu le sens. Les critiques díart síassemblent donc pour échanger les miettes de leur ignorance et de leurs doutes. Quelques personnes, dont nous savons quíelles font actuellement un effort pour comprendre et soutenir les recherches nouvelles, ont accepté en venant ici de se confondre dans une immense majorité de médiocres, et nous les prévenons quíelles ne peuvent espérer garder un minimum díintérêt pour nous quíen rompant avec ce milieu.

Disparaissez, critiques díart, imbéciles partiels, incohérents et divisés ! Cíest en vain que vous montrez le spectacle díune fausse rencontre. Vous níavez rien en commun quíun rôle à tenir ; vous avez à faire líétalage, dans ce marché, díun des aspects du commerce occidental : votre bavardage confus et vide sur une culture décomposée. Vous êtes dépréciés par líHistoire. Même vos audaces appartiennent à un passé dont plus rien ne sortira.

Dispersez-vous, morceaux de critiques díart, critiques de fragments díarts. Cíest maintenant dans líInternationale situationniste que síorganise líactivité artistique unitaire de líavenir. Vous níavez plus rien à dire.

LíInternationale situationniste ne vous laissera aucune place. Nous vous réduirons à la famine. »

Il appartenait à notre section belge de mener sur place líopposition nécessaire. Dès le 13 avril, veille de líouverture des travaux, alors que les critiques díart des deux mondes, présidés par líaméricain Sweeney, étaient accueillis à Bruxelles, le texte de la proclamation situationniste était porté à leur connaissance par plusieurs voies. On fit tenir des exemplaires à un grand nombre de critiques, par la poste ou par distribution directe. On téléphona tout ou partie du texte à díautres, appelés nommément. Un groupe força líentrée de la Maison de la Presse, où les critiques étaient reçus, pour lancer des tracts sur líassistance. On en jeta davantage sur la voie publique, des étages ou díune voiture. On vit ainsi, après líincident de la Maison de la Presse, des critiques díart qui venaient ramasser les tracts jusque dans la rue, pour les soustraire à la curiosité des passants. Enfin toutes les dispositions furent prises pour ne laisser aux critiques aucun risque díignorer ce texte. Les critiques díart en question ne répugnèrent pas à faire appel à la police, et usèrent des moyens que leur ménageaient les intérêts impliqués dans líExposition Universelle pour entraver la reproduction dans la presse díun écrit nuisible au prestige de leur foire et de leur pensée. Notre camarade Korun se trouve sous le coup de poursuites judiciaires pour son rôle dans cette manifestation.

On lira aussi :

 INTERNATIONALE SITUATIONNISTE, Adresse de líInternationale situationniste à líAssemblée générale de líAssociation internationale des critiques díart [12 avril 1958]

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JEUNES GENS, JEUNES FILLES

Quelque aptitude au dépassement et au jeu.
Sans connaissances spéciales.
Si intelligents ou beaux,
Vous pouvez aller dans le sens de líHistoire,
AVEC LES SITUATIONNISTES
Ne pas téléphoner. Écrire ou se présenter :
32, rue de la Montagne-Geneviève, Paris Ve.

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Une guerre civile en France

 

« Ce níest pas Catilina qui est à nos portes, cíest la mort. »

P.-JPROUDHON, à Herzen. 1849.

DANS LES JOURS où cette revue síimprimait de graves événements survenaient en France (13 mai - 2 juin). Leurs développements ultérieurs peuvent peser lourdement sur les conditions díune culture díavant-garde comme sur beaucoup díautres aspects de la vie en Europe.

Síil est vrai que líHistoire a tendance a recommencer en farce ce qui a été tragédie, cíest la guerre díEspagne qui vient de se répéter dans la comédie de la fin de la IVe République. Le fond politique de la IVe République avait été son irréalité, et sa mise à mort sans effusion de sang fut elle-même irréelle. La IVe République était inséparable díune guerre perpétuelle aux colonies. Líintérêt du peuple français était díarrêter la guerre, líintérêt des secteurs colonialistes était de la gagner. Le Parlement paraissait incapable de líun comme de líautre, mais cíest du coté des colonialistes et de líarmée laissée à leur service quíil avait multiplié les concessions et les démissions depuis des années, et cíest à leur pouvoir quíil était prêt à céder la place.

Quand líarmée díAlgérie se révolta, comme chacun síy attendait, le gouvernement républicain eût pu la remettre dans la discipline à peu de frais, et la résistance était encore nécessaire et facile au dernier jour. Mais au début il lui fallait síappuyer sur le peuple à travers sa majorité parlementaire de gauche. À la fin, après la conquête de la Corse et les menaces des troupes aéroportées contre Paris, il eût fallu síappuyer sur la force effective du peuple mobilisé (par cette organisation gouvernementale díune grève générale qui anihila le succès initial du putsch de Kapp, par líarmement de milices). Ce processus révolutionnaire, qui impliquait líappel aux hommes du contingent, aux équipages de la flotte, contre leurs chefs rebelles, et surtout la reconnaissance de líindépendance de líAlgérie, parut bien plus dangereux que le fascisme.

Le Parti communiste était dans cette crise le meilleur défenseur du régime parlementaire, et rien de plus. Mais le régime était parvenu à ce point de dissolution précisément par son refus de tenir compte des voix communistes dans une majorité de gauche. Il est resté jusquíau bout victime de líunique procédé díintimidation par lequel la droite minoritaire avait constamment imposé sa politique : le mythe díun Parti communiste travaillant à síemparer du pouvoir. Le Parti, qui níy travaillait aucunement, avait ainsi déçu et désarmé les masses sans jamais réussir une seule opération au Parlement ; et lui aussi, jusquíau bout, a cherché à faire accepter ses avances par les mêmes responsables de la bourgeoisie. Ceux-ci restèrent dans leur fermeté minérale de sorte que les communistes ne purent enregistrer leur premier succès parlementaire : le régime síeffondra avant. Le 28 mai il apparut quíil était possible díentraîner le pays, non le Parlement, dans la lutte anti-fasciste. Au soir du 29 mai la C.G.T. ne lança pas la grève générale illimitée qui en était líarme principale, et les manifestations du 1er juin ne pouvaient être que de pure forme.

Les masses populaires étaient indifférentes parce quíon ne leur avait offert depuis longtemps que la fausse alternative parlementaire entre la droite modérée et la modération díun Front Populaire díailleurs utopique puisque les non-communistes le refusaient absolument. Les éléments non-politisés étaient endormis par la grande presse et la radio. Un gouvernement contrôlant et utilisant au mieux ces moyens díinformation eût disposé díun délai suffisant pour alerter le pays, mais le mode díinformation capitaliste suivit sa pente naturelle et su dissimuler líagonie du régime à une grande partie de la population. Les éléments politisés, depuis 1945, avaient pris líhabitude de la défaite et ils étaient à juste raison sceptiques sur les chances díune telle « défense de la République ». Cependant les centaines de milliers de manifestants qui marchèrent ensemble à Paris le 28 mai montrèrent que le peuple méritait mieux, et quíil síétait levé au dernier moment.

Jusquíà maintenant cette lamentable affaire ne comporte aucun trait moderne. Le fascisme níavait ni parti de masse en France, ni programme. La seule force du colonialisme borné et raciste, et díune armée qui ne voyait pas díautre victoire à sa portée, a imposé au pays, comme première étape, de Gaulle qui représente líidée scolaire de la grandeur nationale française du XVIIe siècle et qui assure la transition vers un ordre moral poujado-militaire. Dans ce pays fortement industrialisé il níy a pas eu díaction déterminante de la classe ouvrière. On est tombé à un stade díabsence politique de la bourgeoisie et du prolétariat où les pronunciamientos décident du pouvoir.

Où en sommes-nous ? Les organisations ouvrières ici sont intactes ; une partie du peuple est alerté ; líarmée algérienne combat toujours. Pour continuer à régner à Alger les colons, qui commandaient déjà aux gouvernements de Paris avant de les désigner officiellement, sont obligés maintenant de régner sans opposition en France. Leur but reste líintensification de líeffort de guerre de toute la France à leur profit, et ceci nécessite à présent la liquidation de la démocratie dans ce pays, le triomphe díune autorité fasciste. Les forces démocratiques en France, si elles peuvent encore renverser le courant, seront obligées díaller jusquíau bout de leur attitude : la liquidation du pouvoir des colons sur líAlgérie et sur la France, cíest-à-dire la République algérienne du F.LN. Un choc violent est donc inévitable à brève échéance. Les lâches illusions sur le rôle personnel du général-président, les obstacles apportés à líunité díaction, une nouvelle hésitation au moment díengager la lutte pourront affaiblir davantage et même livrer le peuple, mais non retarder le dénouement.

Le 8 juin 1958.

 

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